Max Neuhaus – Walks and Listen
par Désarsonnants
Listen
La signification de ce titre « Listen » est pour moi à double entrée. Au sens premier du terme, celui clairement exprimé, il s’agit d’une injonction à prêter l’attention aux sons, à mettre en œuvre une perception auriculaire, et sa forme écrite – ÉCOUTEZ – ou l’ECOUTE en majuscules, l’indique sans détour. C’était aussi, dans son ton impératif, son ordre donné – une sorte de code utilisé comme une plaisanterie, entre moi et ma petite amie du moment, une jeune femme franco-bulgare, qui me le hurlait avant avant que de commencer à me jeter des choses à la figure, lorsqu’elle était très en colère…
C’était surtout une injonction fortement liée à mes premiers travaux en tant qu’artiste indépendant, en 1966. Comme je l’ai déjà dit, Russolo et Cage m’avaient manifestement inspiré par les sons non musicaux qu’ils introduisaient dans des salles de concert. Le fait de transformer les sons du quotidien en sons musicaux m’intéressais beaucoup, au point de vouloir sortir de la salle pour des écoutes extérieures, in situ, avec un public embarqué dans la ville.
La première performance – expérience de ce genre, fut organisée pour un petit groupe d’amis invités pour l’occasion. Je leur avais demandé de me retrouver au coin de l’avenue D et West 14th Street à Manhattan. J’ai alors encrer, à l’aide d’un tampon en caoutchouc le mot « écouter » sur la main de chaque participant, et ai commencé à marcher avec eux jusqu’à 14th Street vers l’East River. À ce endroit, la rue fait une fourche devant une centrale électrique et, comme je l’avais repéré précédemment, on y entend un sourd grondement, très présent et assez spectaculaire à l’écoute. Nous avons ensuite continué notre chemin, traversé la route pour longer une station de lavage automobile dont nous avons écouté les sonorités de l’eau giclant sur des pneus, puis suivi la rivière pendant quelques blocs d’immeubles, franchis un pont piétonnier, emprunté la très vivante rue portoricaine du Lower East Side et enfin, nous sommes arrivés à mon studio, où j’ai exécuté quelques pièces de percussions pour les promeneurs auditeurs.
Au bout d’un certain temps, j‘ai commencé à construire ces œuvres comme des work in progress, le rituel du tampon de caoutchouc introduisant une sorte de conférence promenade, qui constituait la trame d’une représentation sonore. Je voulais que le public, lors de ces concerts/conférences, écoute les sons de l’extérieur, simplement en tamponnant leurs mains et en les conduisant à prendre conscience à l’oreille de leurpropre environnement quotidien. Sans rien leur dire, leur expliquer préalablement, jesouhaitais que nous nous concentrions sur l’écoute, en commençant par marcher de concert. Au départ, les participants étaient naturellement un peu embarrassés, mais la dynamique, l’ambiance et le recueillement d’une écoute collective étaient généralementassez vite contagieuses. Le groupe faisait alors de lui-même le silence, et au moment où nous rentrions dans mon studio, beaucoup avaient je pense découvert une nouvelleposture d’écoute, très personnelle, très intime.
Bien sûr, il y eu quelques incidents. Je me souviens de l’un d’eux en particulier, dans une université, quelque part dans l’Iowa. L’institution attendait en fait de moi que je donne aux étudiants une conférence dans les règles de l’art. Ils furent assez interloqués quand j’ai dit à ces derniers de quitter la salle, mais heureusement ne trouvèrent pas rapidement d’arguments suffisants pour contrarier les plans du conférencier, invité d’honneur de la journée. Les étudiants étaient quand à eux très heureux de pouvoir s’échapper de leurs lieux de cours habituels, pour aller marcher dehors. Avec plusieurs centaines de participants, avons formé un long cortège silencieux dans les rues de la petite ville où nous nous trouvions. Il devait y avoir de bons esprits, de bonnes ondes ce jour-là. La faculté était tellement en colère contre moi, qu’ils en ont boycotté le bon déjeuner que ces professeurs avaient préparé à mon intention après la conférence.
Un certain nombre d’années plus tard, lorsque le projet de paysage sonore de Murray Schafer a été assez connu, je suis sûr que ces universitaires n’auraient plus eu aucun problème à accepter des propositions similaires. Mais la réalité de terrain – n’étant pas confinée en toute quiétude entre les deux couvertures d’un livre, était tout autre chose à l’époque.
Je pense que la définition la plus pertinente pour qualifier de cette série d’œuvres/actions est l’utilisation du mot LISTEN, pour concentrer à la fois phonétiquement et visuellement vers des promeneurs écoutants une telle expérience.
J’ai alors commencé à imaginer d’autres façons de développer ces actions, l’expérience d l’Iowa m’ayant donné des pistes de réflexion, en tant que qu’intervenant enseignant à l’université.
L’une des plus imortante déclinaison de mon travail (touchant 1 million de personnes environ) fut certainement un éditorial, que j’ai écrit pour le New York Times en 1974, dénonçant les bureaucrates stupides du ministère des « ressources de l’air », pour le fait qu’ils provoquent eux-même des situations beaucoup trop bruyantes.
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